Flight-SEIR : incorporer les données de vol pour améliorer la modélisation épidémiologique et la prévention d’éclosions de maladies infectieuses

Flight-SEIR : incorporer les données de vol pour améliorer la modélisation épidémiologique et la prévention d’éclosions de maladies infectieuses

Une version modifiée du modèle SEIR standard qui tient compte des vols infectés par le coronavirus COVID-19 à destination et en provenance du Canada pourrait permettre la détection précoce des épidémies, estimer de façon plus précise le taux de reproduction de la maladie et mieux évaluer l’impact des restrictions de voyage ainsi que les conséquences qu’engendreraient la levée de ces mesures.

La modélisation épidémiologique des maladies infectieuses est un outil indispensable pour étudier la façon dont les maladies se propagent, prévoir la trajectoire future d’une éclosion et aider à orienter les mesures de santé publique. De nombreux efforts de modélisation de la COVID-19 reposent sur des modèles à compartiments établis de longue date, dont le modèle susceptible-exposé-infectieux-retiré (SEIR) et autres dérivés. Pourtant, la pandémie globale actuelle remet en question l’approche standard du modèle SEIR, qui est basé sur l’hypothèse que chaque groupe de population est un système à circuit fermé où les individus ne se déplacent pas d’une région ou d’un pays à l’autre. Or, un tel modèle néglige la transmission asymptomatique et pré-symptomatique, à savoir que les individus porteurs de la COVID-19 peuvent traverser les frontières et déclencher de nouveaux foyers (Wei et al. 2020; Vetter et al. 2020).

En réalité, les virus à ARN tels que la COVID-19 peuvent muter rapidement et la répartition géographique donne souvent lieu à des variantes génétiquement distinctes qui sont hautement transmissibles. Alors que de nouvelles lignées virales plus contagieuses continuent à émerger, le variant Delta, apparu pour la première fois en Inde en décembre 2020, reste une préoccupation mondiale. Il représente aujourd’hui 99 % des cas à travers le Royaume-Uni et selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), le Delta est désormais la souche dominante aux États-Unis. En Ontario, au Canada, les autorités sanitaires ont déclaré ce variant responsable de 88 % des cas dans la province.

Dans une étude récente publiée dans la revue Applied Network Science, nous démontrons qu’il est primordial de prendre en compte les vols lors de la modélisation de cette pandémie. Nous présentons donc Flight-SEIR, une version adaptée du modèle SEIR standard qui intègre des données de voyageurs aériens afin d’incorporer le réseau dynamique des vols pour modéliser la propagation de la COVID-19 au Canada. Nous démontrons que notre modèle proposé :

  • Permet une détection plus précoce des épidémies en considérant la dynamique démographique de la population ;
  • Fournit une compréhension plus précise de la pathologie, notamment une meilleure évaluation du taux de reproduction au sein de la population ;
  • Simule l’impact des restrictions de voyage et évalue les risques et les implications de la levée de ces mesures.

Nous avons également recueilli les données des voyages à destination, en provenance ou à l’intérieur du Canada ayant des passagers infectés ou à risque d’exposition. Nous avons visualisé chaque vol infecté dans la vidéo ci-dessous :

 

Présentation de Flight-SEIR

Afin de créer Flight-SEIR, nous avons modifié les équations différentielles d’un modèle SEIR standard pour inclure la dynamique démographique dérivée du réseau de vol. La différence essentielle entre Flight-SEIR et SEIR est la considération d’une population ouverte où les individus peuvent circuler entre régions ou voyager à l’étranger.

Comme le montre la figure 2, Si, Ei, Ii et Ri correspondent à la taille de la population sensible, exposée, infectieuse et rétablie au sein de la population cible i.

Figure 2

 

Pour étudier les propriétés de Flight-SEIR, surtout aux stades initiaux de la pandémie, nous avons fait appel à quatre hypothèses pour simplifier le modèle sans compromettre ses caractéristiques clés. Avant tout, nous supposons que les individus qui se trouvent dans le compartiment infecté, I, se verraient refuser l’embarquement sur les vols car ces individus infectés présenteraient des symptômes légers à sévères et seraient donc facilement identifiables à l’aéroport. Consultez notre étude pour connaître les hypothèses supplémentaires liées au modèle.

 

Simulations

Dans le cadre de cette étude, nous ciblons la population canadienne afin de démontrer le potentiel de Flight-SEIR. Nous avons recueilli des données historiques de vol remontant à janvier 2020 et avons intégré le réseau de vol dynamique dans Flight-SEIR. Suite à de nombreuses simulations, nous présentons les avantages et les principales constatations de Flight-SEIR.

 

Prévision de la dynamique des épidémies incontrôlées à temps précoce

Dans les premiers stades d’une épidémie, la majorité des cas confirmés sont importés à partir d’une population étrangère. Le modèle SEIR traditionnel suppose un compartiment infecté initial à valeur non nulle qui ignore quand et comment ces individus infectés parviennent dans la population.  En revanche, nous avons utilisé des données pré-pandémiques du trafic aérien pour simuler la dynamique épidémique précoce au Canada sans aucune restriction de voyage. Nous observons qu’avec les cas d’infection importés à partir de voyages, même un nombre de reproduction initial < 1 peut mener à une éclosion (comme le montre la Figure 7).

Figure 7

Évaluer l’impact des restrictions de voyage

Pour étudier l’impact des restrictions de voyage sur la propagation de la  COVID, nous avons simulé l’effet de la réduction de la circulation aérienne en comparant les résultats à ceux obtenus sans restriction. Nous constatons que les interventions non pharmaceutiques (INP) liées aux voyages ont un impact significatif sur la réduction de la propagation. En effet, les infections peuvent être endiguées dans une proportion aussi faible que 0,157 % de la population totale (Figure 8).

Figure 8

 

Évaluer le taux de reproduction R0i de la population

En intégrant les données du trafic aérien, Flight-SEIR peut surveiller le risque de propagation avant même que le premier cas soit confirmé dans une région alors que le modèle SEIR classique requiert au moins un cas infecté avant de pouvoir être exploité. Dans la présente simulation, nous démarrons Flight-SEIR avec 0 cas infecté et exposé et comparons le taux de reproduction R0CAN de Flight-SEIR avec le taux de reproduction R0 de SEIR. La figure 9 démontre que lorsque le flux de population est négligé, il en résulte un R0 nettement plus élevé que le R0CAN calculé par Flight-SEIR.

Figure 9

 

Simuler l’effet de la levée des restrictions de voyage

Dans cette expérience, nous simulons l’effet de la levée des restrictions de voyage en faisant correspondre le trafic aérien aux niveaux de circulation pré-pandémiques. Nous observons que le nombre de cas importés et la transmission communautaire augmentent en fonction du degré de réouverture et que la reprise des vols aurait des conséquences divergentes selon les provinces et les territoires du Canada (Consultez l’étude pour plus de détails).

 

Conclusion

Nous estimons que la priorisation d’une méthode de modélisation telle que Flight-SEIR est indispensable pour faire face à une pandémie mondiale, d’autant plus que le monde est de plus en plus interconnecté par les voyages internationaux. Bien que des restrictions de voyage soient en place et continuent d’être assujetties à des modifications, des variants de COVID-19 persistent à se propager entre les populations et demeurent une source de préoccupation majeure.

Dans ce travail, nous avons modifié le modèle SEIR standard pour déduire les flux d’entrée et de sortie des passagers aériens grâce à des données de vol. Le modèle Flight-SEIR que nous proposons est mieux adapté à la modélisation épidémiologique, ce qui se traduit par trois constatations principales :

  • Il est important d’intégrer les données de vol et les flux de population dans la modélisation épidémiologique.
  • Les résultats de notre modèle Flight-SEIR peuvent différer considérablement du modèle SEIR standard dans un contexte de population à libre circulation.
  • L’application ou la levée des restrictions de voyage peut avoir un fort impact sur les foyers d’éclosion.

Bien que le réseau de vols soit bien documenté, son accès est cependant restreint. Notre équipe s’efforce d’obtenir l’accès à des rapports de voyage plus précis afin d’affiner nos prévisions. Dans le cadre de travaux futurs, nous aimerions appliquer Flight-SEIR à la modélisation de la propagation des maladies infectieuses dans plusieurs populations simultanément. En situation à populations multiples, chaque population (ou nœud) du réseau de vol aurait son propre modèle SEIR et la dynamique inter-populationnelle serait représentée par les vols de connexion.

 

Auteurs de l’étude

Xiaoye Ding, étudiant à la maîtrise, Mila et l’École d’informatique, Université McGill
Shenyang Huang, doctorant, Mila, et l’École d’informatique, Université McGill 
Abby Leung, stagiaire en recherche, Mila et l’École d’informatique, Université McGill
Reihaneh Rabbany, membre académique principale de Mila et Professeure adjointe à l’École d’informatique, Université McGill

Cliquez ici pour consulter l’étude.

Cliquez ici pour visualiser le risque d’exposition à la COVID-19 des voyages à destination, en provenance ou à l’intérieur du Canada.