Infrared

L’intelligence artificielle (IA) pour lutter contre le trafic des personnes au Canada. 

Logo du projet et photo de deux personnes se tenant la main.

Contexte

Selon l’Organisation internationale du Travail, environ 4,8 millions de personnes dans le monde sont victimes de trafic sexuel à des fins commerciales, une industrie mondiale dont la valeur est estimée à 99 milliards de dollars américains. Bien que le trafic sexuel représente 19,3 % de toutes les victimes de la traite des personnes sur la planète, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime indique que cette activité criminelle touche disproportionnellement l’Amérique du Nord. 

La technologie est un outil indispensable dont se servent les trafiquants pour recruter, vendre et exploiter les victimes, tout en rendant leurs activités plus insaisissables et plus largement répandues. Grâce à l’analyse des activités suspectes en ligne, nous pouvons identifier et soutenir les victimes de la traite des personnes, mais aussi mieux cerner l’ampleur et les tendances du trafic sexuel sur Internet. Cette analyse est d’autant plus importante que les statistiques sur la traite sexuelle n’offrent actuellement qu’une vague estimation du nombre de victimes au Canada et dans le monde, faute de données fiables, partagées et recueillies de manière standardisée.

Description du projet

La méthodologie retenue se situe à la croisée de la détection des tendances, de l’exploration de données, de l’apprentissage actif avec interventions humaines (« human-in-the-loop »), de la détection d’anomalies, de l’exploration de graphes, du traitement automatique des langues, de l’extraction d’information et du traitement d’images.

Équipe

Ce projet de recherche est mené sous la direction de la professeure Reihaneh Rabbany, avec la collaboration de plusieurs professeur·e·s et étudiant·e·s en IA ainsi que d’étudiant·e·s en criminologie spécialisé·e·s dans l’étude de la traite des personnes, du travail du sexe et des perspectives critiques sur ces questions.

Importance pour le Canada

Le Canada a été reconnu à la fois comme provenance, lieu de passage et destination de la traite des personnes, et plus particulièrement du trafic sexuel. Un rapport d’analyse portant sur plus d’un millier d’accusations liées à la traite des personnes au Canada indique que 85 % des accusations proviennent de l’Ontario et du Québec, en premier lieu des points chauds que sont les grands centres urbains. La majorité des victimes sont des femmes et des jeunes filles. Si le nombre d’accusations et de condamnations au Canada ne reflète pas le nombre de délits, il est sans doute davantage révélateur de la difficulté du système pénal à identifier correctement et à traduire en justice les auteurs de ces crimes. 

Notre équipe interdisciplinaire composée de chercheur·euse·s en IA, en criminologie et en droit a pour mission de combler cette lacune. Nous sommes bien au fait des problématiques dans ce domaine et nous efforçons d’atteindre notre objectif de manière responsable en nous adressant aux bons interlocuteur·rice·s et en menant des travaux de recherche adaptés au contexte, centrés sur l’humain et respectueux des droits de la personne.

Nos consultations avec les parties prenantes (survivant·e·s, prestataires de services, forces de l’ordre, procureurs) ont permis de mettre en lumière d’importantes lacunes dans les services offerts aux victimes au Canada. Le système judiciaire échoue souvent à protéger les victimes de la traite des personnes, notamment en raison de preuves insuffisantes, du traumatisme lié au témoignage et des difficultés concernant la crédibilité des victimes.

Mila est membre de Code 8.7, une communauté qui développe et applique des solutions alimentées par l’IA et informées par les survivant·e·s pour lutter contre le trafic des personnes. 

Déclaration

Pour un développement responsable de l’IA au service de la lutte contre la traite des personnes

Mila s’engage à développer et à utiliser les systèmes d’IA de manière responsable. Cet engagement oriente notre approche dans ce projet, qui s’appuie sur des principes de gouvernance centrés sur la personne.

Les membres de l’équipe de recherche et les interlocuteur·rice·s auxquels ils s’adressent sont conscient·e·s des risques et des considérations liés à ce travail, et notamment de la confusion problématique qui règne entre le travail du sexe et la traite des personnes. 

Même si notre projet n’a pas encore atteint le stade du déploiement, nous veillons sans relâche à mettre en œuvre des procédures de prévention des préjudices afin de garantir que nos solutions ne seront pas utilisées à mauvais escient et qu’elles n’entraîneront pas de conséquences néfastes pour des groupes vulnérables, dont les Premières Nations, les immigrant·e·s et les personnes sans statut, les membres de la communauté LGTBQ2S+ ainsi que les travailleur·euse·s du sexe. Notre équipe a déployé d’importants efforts afin d’appréhender ces difficultés et élabore ce projet en étroite collaboration avec des expert·e·s du domaine ainsi qu’avec une survivante de la traite des personnes afin de garantir un engagement éthique et inclusif des parties prenantes. De plus, l’équipe mène actuellement des consultations auprès de groupes marginalisés, d’organisations de défense des droits des travailleur·euse·s du sexe et de survivant·e·s de la traite des personnes pour s’assurer que le projet tient compte de leurs besoins et de leurs points de vue.

Le projet en est actuellement au stade de la recherche. S’il est mis en œuvre, l’outil en cours d’élaboration sera géré par une entité indépendante et placé sous la supervision d’un·e responsable qui veillera à ce qu’il soit utilisé comme prévu. L’équipe de recherche continuera à travailler avec un groupe d’avocat·e·s et d’éthicien·ne·s de la recherche pour s’assurer que le projet respecte les lois locales en matière de confidentialité et de sécurité. Ce projet de recherche n’est pas affilié aux partenaires de Mila. Par ailleurs, toutes les données recueillies sont protégées par notre code d’éthique et ne peuvent être consultées que par certains membres de l’équipe de recherche.

De plus, nous devons absolument tenir compte de l’existence de certaines faussetés et exagérations entourant la traite des personnes et nous concentrer sur la réalité des victimes d’exploitation dans l’industrie du sexe. Les expert·e·s invitent à la vigilance, puisque les statistiques officielles reflètent souvent les priorités et politiques de certaines parties intéressées plutôt que la réalité de la traite des personnes au Canada. C’est sans compter que les statistiques peuvent rendre compte davantage des préoccupations mondiales à l’égard de l’exploitation dans l’industrie du sexe que d’une volonté de brosser un portrait fidèle de la situation.

À quelle phase d’élaboration en est actuellement le projet ?

Depuis plusieurs années, nos chercheur·euse·s tentent d’établir s’il est techniquement faisable d’utiliser des algorithmes pour lutter contre la traite des personnes. Maintenant que l’efficacité de ces algorithmes a été démontrée, nous passons de la théorie à la pratique et axons nos recherches sur leur utilité dans un cadre appliqué.

À la suite de consultations avec des parties prenantes canadiennes, nous avons réorienté notre outil afin de garantir qu’il soit centré sur les victimes. Nous le faisons en donnant aux victimes et aux survivant·e·s le pouvoir d’agir, en les autonomisant grâce à l’accès à leurs propres données, pour les aider à rechercher la justice de multiples façons, à l’intérieur comme à l’extérieur du système judiciaire.

Nous faisons tout en notre pouvoir pour nous assurer que notre travail est mené de la manière la plus ciblée possible dans une optique d’aide aux victimes et de lutte contre la traite des personnes. Nous voulons éviter ainsi d’impliquer d’autres groupes de personnes dans notre travail. Nous nous adressons aux parties concernées pour voir quelles limites doivent être établies afin de maximiser l’utilité des interventions et de réduire le risque de préjudices involontaires.

Quelles sont les retombées escomptées de ce projet ?

Nous avons récemment publié des articles sur l’éthique et l’IA dans la conception de technologies d’IA à finalité sociale, notamment Reframing AI-for-Good: Radical Questioning in AI for Human Trafficking Interventions, présenté à la conférence AIES-25.

Nos résultats mettent en évidence la nécessité de repenser les approches « IA pour le bien » afin qu’elles soient véritablement centrées sur les besoins des populations concernées. Dans le contexte de la lutte contre la traite des personnes, cela implique de remettre en question les modèles technologiques dominants, d’intégrer la perspective des victimes dès la conception et d’assurer une gouvernance éthique continue. Cette analyse a joué un rôle clé dans le pivot de notre projet vers un outil résolument centré sur les victimes, leur autonomie et leur sécurité.

Nous comptons faire paraître nos résultats de recherche dans des publications spécialisées en criminologie et en apprentissage automatique. Nous espérons que notre projet inspirera d’autres travaux sur le sujet qui adopteront eux aussi une approche rigoureuse de nature multidisciplinaire.

À long terme, ce projet pourrait s’avérer utile pour les prestataires de services, qui pourront s’y reporter pour obtenir des informations pointues sur la traite des personnes.

Avez-vous obtenu du financement pour ce projet ?

Le volet de création des algorithmes a bénéficié de fonds de recherche publics ainsi que d’une subvention de Mila, l’institut de recherche universitaire auquel nous sommes affiliés. 

À qui puis-je m’adresser pour en savoir plus sur ce projet ?

Vous pouvez communiquer avec l'équipe de projet à l’adresse infrared@mila.quebec.

Ressources

T-NET : apprentissage de graphes faiblement supervisé pour lutter contre la traite des personnes
Actes de la conférence AAAI sur l’intelligence artificielle. Cet article présente T-NET qui, à la différence des approches antérieures, aborde le problème sous l’angle d’une classification faiblement supervisée.
Estimations mondiales de l'esclavage moderne
Les estimations mondiales 2017 de l'esclavage moderne par l'Organisation internationale du travail et Walk Free visent à contribuer aux objectifs de développement durables, en particulier à la cible 8.7, qui vise à mettre fin au travail forcé, à l'esclavage moderne, à la traite des êtres humains et au travail des enfants.
Profits et pauvreté : l'économie du travail forcé
Cette étude de l'Organisation internationale du Travail examine les facteurs sous-jacents du travail forcé, dont l'un des principaux est l'illégalité des profits.

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