L'IA contre l'esclavage moderne

Le projet AIMS (AI against Modern Slavery) s’appuie sur des techniques d’intelligence artificielle (IA) pour aider à analyser les données des rapports d’entreprise et à favoriser le respect des lois sur l’esclavage moderne. Au fil du temps, ce projet est susceptible d’apporter une solution viable pour lutter contre l’esclavage moderne partout dans le monde.

Logo du projet et photo d'un homme qui transporte de lourdes briques sur sa tête.

Contexte

Aujourd’hui, plus de 50 millions de personnes vivent dans des conditions impliquant des pratiques fondées sur l’esclavage. L’une d’entre elles est le travail forcé, un type d’exploitation souvent intégré aux chaînes d’approvisionnement des entreprises. Malheureusement, le milieu complexe des chaînes d’approvisionnement est particulièrement opaque, ce qui a permis l’utilisation généralisée du travail forcé. Les organisations de défense des droits de la personne utilisent divers indicateurs pour évaluer l’importance de ce problème.

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Selon le groupe international de défense des droits de la personne Walk Free, les pays du G20 importent chaque année 468 millions $US de produits susceptibles d’être issus du travail forcé, qui comprennent notamment des produits électroniques, des vêtements, de l’huile de palme, des panneaux solaires, du textile et d’autres biens de consommation courante.

Les lois sur l'esclavage moderne

Le Royaume-Uni et l’Australie ont été parmi les premiers pays à adopter des lois sur l’esclavage moderne en 2015 et 2018. Le Canada a emboîté le pas avec sa propre loi en 2024, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement. De nombreux autres pays les ont imités ou envisagent de se doter d’une législation similaire. Les lois sur l’esclavage moderne obligent généralement les grandes entreprises à publier des rapports annuels qui décrivent leurs efforts pour éliminer l’esclavage de leurs chaînes d’approvisionnement. Cette transparence aide les gouvernements et la population à responsabiliser le secteur privé et à plaider en faveur du changement, tant à l’échelle locale qu’à l’échelle mondiale. 

Le défi des rapports d’entreprise 

Rien qu’au Royaume-Uni, on estime que de 12 000 à 17 000 déclarations sur l’esclavage moderne sont publiées par les entreprises chaque année. L’Australie et le Canada ont reçu entre 3 500 à 6000 déclarations lors de leurs premiers cycles d’établissement de rapports, et ce nombre devrait augmenter. Faute de ressources suffisantes, les gouvernements et les ONG peinent à examiner correctement cette masse d’information. Par conséquent, de nombreuses déclarations ne sont pas analysées. 

Comme de plus en plus de pays adoptent des lois sur l’esclavage moderne, le nombre de déclarations soumises chaque année devrait augmenter. Toutefois, l’absence d’analyse appropriée peut considérablement affaiblir l'application et l’impact de la loi et freiner les efforts déployés pour lutter contre l’esclavage moderne.

Phase 1 du projet AIMS

Le concept

Le projet AIMS a été lancé dans le cadre du mémoire de maîtrise d’Adriana Bora, l’une des 20 étoiles montantes de l’éthique de l’IA et l’une des 100 Roumains et Roumaines vivant à l’étranger qui se démarquent en science. Cette spécialiste des sciences sociales, passionnée par l’utilisation de l’apprentissage automatique à des fins sociales, a entrepris des recherches pour voir comment l’IA peut contribuer à l’élimination de l’esclavage moderne.

En 2019, Adriana Bora et The Future Society se sont associées à Walk Free pour lancer la première phase du projet AIMS. Le projet, qui s’appuie sur les travaux déjà réalisés par Walk Free, WikiRate et le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, a pour objectif de créer une méthodologie afin d’analyser les déclarations produites par les entreprises privées assujetties à la Loi sur l’esclavage moderne (Modern Slavery Act) au Royaume-Uni.

Se fondant sur la science des données, sur des techniques d’apprentissage automatique comme le traitement du langage naturel et sur la linguistique informatique, la première phase du projet visait à trouver des méthodes qui permettraient de faire une analyse rapide et complète des rapports annuels sur l’esclavage moderne afin d’en extraire des renseignements précieux. Cette analyse constitue une étape essentielle vers l’amélioration de la transparence des entreprises et l’accélération des progrès dans la lutte mondiale contre ce problème urgent.

Faits saillants de la phase 1

Lors de la première phase de la recherche, l'objectif principal était de relever les défis associés à la Loi sur l’esclavage moderne (Modern Slavery Act). Cette phase a consisté à déterminer quelles déclarations devaient être analysées, à collecter les déclarations relatives à l'esclavage moderne, à obtenir l'accès à ces documents, à en extraire le texte et à identifier les données de référence existantes. Des expériences initiales basées sur les données ont été menées pour atténuer les limites des données de référence. En outre, une série d'expériences en apprentissage automatique a été réalisée sur l'ensemble de données.

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Apprentissage

Des femmes travaillant dans une usine de textile.
Phase 2 du projet AIMS

Objectifs de la phase 2

Pour la deuxième phase de recherche, le projet AIMS s’est associé à deux centres de recherche en IA et en science des données réputés mondialement : Mila, au Canada, et le Centre for Data Science de l’Université de technologie du Queensland (QUT), en Australie. 

En s’appuyant sur la Loi sur l’esclavage moderne de l’Australie, l'objectif de la phase 2 consistait à explorer comment l’IA de pointe peut être utilisée pour comparer des milliers de déclarations du secteur privé. 

Les objectifs étaient les suivants : 

  • Examiner la faisabilité de doter les gouvernements, les ONG et l’industrie d’une solution robuste pouvant analyser de grands volumes de données communiquées par les entreprises.
  • Recueillir des informations permettant aux autorités et aux entreprises de mieux comprendre où concentrer leurs ressources afin d'améliorer la conformité des entreprises à la loi sur l'esclavage moderne.
  • Donner aux citoyen·ne·s et aux investisseurs les connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées concernant les entreprises avec lesquelles ils et elles font affaire.

Le projet AIMS espère également inspirer d’autres personnes à utiliser leur expertise, que ce soit en génie logiciel, en science des données ou en sciences sociales, pour faire progresser le domaine de l’IA dans la lutte contre l’esclavage moderne.

Résultats et réalisations de la phase 2

Le projet a obtenu des résultats significatifs dans les domaines de la recherche, du développement de ressources et du renforcement des capacités : 

Publications académiques

Cinq articles scientifiques de haute qualité ont été élaborés.

  • Deux ont été publiés dans des conférences internationales majeures en intelligence artificielle : ICLR (International Conference on Learning Representations) et ACL (Association for Computational Linguistics)

  • Trois autres sont actuellement en cours d’évaluation.

Jeux de données et outils
  • AIMS.au : Le plus grand jeu de données annoté de déclarations sur l’esclavage moderne au monde, couvrant plus de 5 700 déclarations australiennes.
  • AIMS.uk et AIMS.ca : Jeux de données annotés du Royaume-Uni et du Canada, permettant d’évaluer si les modèles entraînés sur les données australiennes peuvent être généralisés à d’autres juridictions.
  • Spécifications d’annotation détaillées expliquant la méthode d’évaluation de la conformité aux obligations de la loi australienne sur l’esclavage moderne.
  • Modèles de langage de grande taille ajustés (fine-tuned) atteignant des performances de pointe pour l’évaluation de conformité.
  • Ensemble complet de prompts (zero-shot, few-shot, chain-of-thought) pour l’évaluation des déclarations sans ajustement préalable.
  • Benchmarks démontrant que les modèles ajustés surpassent nettement les approches basées sur des prompts, tout en se généralisant efficacement aux déclarations d'autres pays, comme le Royaume-Uni et le Canada.
  • Formation de quatre modèles enseignants supplémentaires pour pallier certaines limitations spécifiques, dont les connaissances ont été distillées dans un modèle étudiant, permettant une analyse environ sept à huit fois plus rapide et sept fois plus économe en énergie.
  • Techniques d’explicabilité appliquées pour aider les examinateurs humains à comprendre les décisions des modèles.
Contributions à la recherche en sciences sociales
  • Cartographie de 13 méthodologies de référence open source issues d’études majeures, comparées aux critères obligatoires de la loi australienne sur l’esclavage moderne, menant à l’identification de plus de 466 indicateurs. Cette cartographie reflète la diversité des questions posées par les milieux académiques et la société civile. L’intersection de ces indicateurs constitue la base d’un cadre de priorisation, fondé sur la littérature et les intérêts des parties prenantes, afin d’aller au-delà de la simple conformité légale et d’évaluer la qualité et la substance des déclarations.
  • Une cartographie de la préparation à l’intelligence artificielle dans les cadres réglementaires relatifs aux droits humains en entreprise (impliquant des obligations de reporting) a été réalisée, avec des enseignements et recommandations à destination des gouvernements concernés.
Démarche éthique et développement responsable

Toute la recherche a été conçue dans une démarche éthique, visant un développement responsable. L’approche adoptée repose sur le principe de l’humain dans la boucle, garantissant que les décisions finales soient toujours prises par des examinateurs humains. Des méthodes explicables ont été privilégiées afin de permettre une compréhension claire des décisions du modèle par les utilisateur·rice·s.

Tous les résultats et ressources ont été rendus open source, afin d’encourager la transparence, la collaboration et l’innovation. Pour favoriser l’adoption concrète, le projet s’est conclu par un hackathon mondial réunissant des intervenant·e·s et jurés internationaux, invitant la communauté de recherche et de praticien·ne·s à enrichir les outils partagés.

Articles de conférence
  • ICLR – AIMS.au: A Dataset for the Analysis of Modern Slavery Countermeasures in Corporate Statements
  • ACL Anthology – AIMSCheck: Leveraging LLMs for AI-Assisted Review of Modern Slavery Statements Across Jurisdictions
Ressources
Le Projet AIMS Hackathon 2025

Le Projet AIMS Hackathon 2025 est une compétition mondiale en ligne d’innovation réunissant développeur·euse·s, entrepreneur·e·s, chercheur·euse·s et militant·e·s des droits humains autour de la conception de solutions fondées sur l’IA pour lutter contre l’esclavage moderne.

Objectifs :

  • Sensibiliser le public à l’esclavage moderne
  • Améliorer l’expertise technique et thématique des participant·e·s
  • Favoriser la collaboration interdisciplinaire
  • Accélérer l’impact et l’adoption d'outils open source développés dans le cadre du Projet AIMS, une initiative pionnière mobilisant des modèles de langage de grande taille (LLMs) pour l’analyse des déclarations d’entreprises, promouvant ainsi transparence, responsabilité et pratiques commerciales éthiques.

L’objectif du projet AIMS est double : donner à la société civile et aux législateur·rice·s les moyens de demander des comptes aux entreprises et aux gouvernements, et ouvrir la voie à un nouveau type de politique publique et de législation, qui intègre toute la puissance de l’exploration et du traitement des données.

Nicolas Miailhe, Co-fondateur et président, The Future Society
Membres de Mila
Portrait de Arsène Fansi Tchango
Gestionnaire en apprentissage automatique, Recherche appliquée en apprentissage automatique
Portrait de Bruno Rousseau
Scientifique senior en recherche appliquée, Recherche appliquée en apprentissage automatique
Portrait de Benjamin Prud'homme
Vice-président, Politiques publiques, sécurité et affaires mondiales, Équipe de direction
Portrait de Jérôme Solis
Directeur principal, Projets appliqués
Autres membres
Kerrie Mengersen (Directrice du QUT Centre for Data Science)

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